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Salle des pas perdus
18 mars 2012

1 mai 1988

Une année de patrons, comme dirait l’autre, en consultant le calendrier et découvrant que le 1er mai, le 8 et Noël tombaient un dimanche en cet an de grâce 1988.
Le soleil lui n’est pas férié il aborde les allées du ciel à grandes enjambées et dardent vers nous ses plus éclatants rayons. Je n’ai pas entendu les femmes rentrées hier soir pas plus que je ne les ai entendu se lever.
Elles sont déjà toutes deux dans la cuisine quand je descends sur le coup de dix heures, riant comme des folles, Flora dans une chemise de nuit aux frontières de l’indécence, frontières qu’elle se plait toujours à violer.
Maman est sous son charme, complètement conquise, rajeunie de vingt ans devant cette fille que rien n’arrête et qui la saoule de paroles plus farfelues les unes que les autres.
Elles sont enchantées de leur escapade nocturne, ne manifestent aucun regret de ce que je ne les ai pas accompagnées et ont déjà tracé, sans me demander mon avis, le programme de la journée jusqu’au départ du train. Je sus sommé de me faire beau, de sourire, d’être aimable ou de me taire si cette perspective ne m’enchante pas.

Nous passons ma foi une bonne journée, en nous promenant dans le centre ville, déjeunant au restaurant aux frais de Flora, visitant les vieux quartiers, des édifices religieux ouverts, montant jusqu’à Royat, rebondissant au jardin Lecoq pour finir sur le quai de la gare vers dix-huit heure. Maman ne nous quitte qu’au départ du train et Flora promet de ne pas la laisser sans nouvelles.
- Ta mère est charmante, dis-donc ! … Je reconnais bien là la sœur de ton oncle ! Même caractère jovial et attachant, même espérance joyeuse dans l’avenir, même simplicité dans ses rapports avec les autres, même générosité, … tout ton contraire !
- Merci !
Elle rit d’un rire franc et massif qui secoue le wagon bondé. Nous avons réussi de justesse à trouver deux places libres l’une à côté de l’autre. Dès le départ Flora sort les sandwichs et autres gâteaux dont Maman nous a lourdement chargés et les étale sur nos quatre genoux :
- Cette balade en ville m’a ouvert l’appétit, pas toi ?
- Non, pas pour l’instant !

Toute la journée elle s’est comportée avec moi comme une sœur avec son frère, ni plis, ni moins.
Etait-ce la présence de Maman ? Etait-ce par calcul ? Par jeu ? Je ne sais pas mais je lui fais confiance pour me le dire dès qu’elle sera rassasiée.
- Et bien non, une fois avalé une bonne partie des victuailles elle s’allonge sur son siège et ferme les yeux pour ne les rouvrir qu’après Orléans. Elle affiche un sourire des grands jours en s’étirant sans aucune discrétion. Entre temps j’ai mangé à mon tour et remballer les restes qui devraient encore nous occuper toute la semaine. Comme elle ne parait pas vouloir entamer une conversation, je demande :
- Je ne te demande pas si tu as passé un bon week-end à voir ta mine réjouie ?
- Oh Charles, tu as raison ! … Je dois t’en remercier ! C’était vraiment extra !
Devant ma moue quelque peu dubitative elle renchérit :
- Si, c’est l’entière vérité ! C’est à toi et à toi seul que je dois les merveilles qui me tombent sur la tête depuis quelques jours.
Elle dépose un gros baiser retentissant sur mon nez et rit comme une pluie d’été follement désirée !
Vêtue d’un pantalon de velours rose et d’un pull léger mauve, elle est ressemble joliment à une fleur tropicale. Ses longs cheveux bruns se balancent librement au gré des mouvements de sa tête et elle n’hésite pas à me les envoyer dès qu’elle peut sur le visage non sans me lancer un regard narquois.
- Je ne sais comment te remercier pour tout ça, dit-elle soudain sérieuse.
- Je suis déjà remercié.
- Ah bon ?
- Oui, te voir de si bon humeur, heureuse de vivre, éclatante de beauté suffit à me combler. Quel changement depuis le soir où j’ai été te récupérer dans ce bar avec Olivier.
Elle sourit tendrement :
- Oui, tu as raison !
Elle me fixe soudain, plantant dans mes yeux un regard inquisiteur :
- C’est ma vie d’avant qui te fait peur ?
- Comment ça ?
- Oui, ma vie avant que tu me prennes chez toi, ma vie à droite à gauche, jamais avec le même mec, à vivre de rien à dépendre des autres !
Je fais mine de réfléchir :
- Non, ce n’est pas ça ! D’ailleurs rien ne me fait peur.
- Oh, c’est faux ! J’ai comme idée que tu te compliques la vie inutilement à cause de moi ! Tout pourrait être si simple, si tu faisais un effort !
- Ma vie comme ça me va bien ! Je t’ai dépanné parce que tu me l’as demandé et non pas parce que j’attendais quelque chose en retour ! … Que peut-il y avoir de plus simple que cela, Flora ?
- Rien, soupire-t-elle, tristement, rien Charles ! … Tu sais quoi ? Je ne vais pas me casser la tête non plus, désormais !
- A la bonne heure !
- Je crois que je vais renoncer à te comprendre !

Et elle se referme dans un mutisme qui la tient jusqu’à ce que nous arrivions Daudet. Il est tard, une nouvelle semaine de travail s’ouvre demain, elle me souhaite une bonne nuit et disparait dans la chambre.
Je ne suis pas fier de moi quand je me couche !


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  • Journal au jour le jour en 1988 d'un jeune homme seul qui erre dans le monde et dans sa vie et rebondit comme une balle sur un mur, de femmes en désillusions, de cuites en faux espoirs, poursuivi par le fantôme de son amour mort à 18 ans.
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