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Salle des pas perdus
9 juillet 2011

27 avril 1988

 

mercredi 27 avril

 

 

 

Pénétrant chez moi avec un maximum de discrétion, je découvre Flora endormie toute habillée sur le canapé. Il est tout juste sept heures trente mais je constate qu’elle a oublié de mettre le réveil à sonner et c’est justement l’heure sur laquelle nous avions décidé en commun de le programmer. Je file dans la chambre, défait le lit comme si j’avais dormi, jette ma chemise sur le sol et enfile un tee-shirt, retire chaussures et chaussettes, décoiffe mes cheveux que Madeleine a ordonné avec soins il y a peu de temps et je m’approche de Flora pour la réveiller comme si je sortais de mon lit après une nuit de repos des plus honnêtes.

Elle découvre avec stupeur qu’elle s’est endormie toute habillée, se plaint de m’avoir attendu très tard mais ne me pose aucune question. Je tente une vague explication :

- Tu dormais si bien, je n’ai pas voulu te réveiller, j’ai pris le lit.

Elle se change le temps que je prépare le café. Sur la table, l’enveloppe  contenant l’argent et les photos est exactement au même endroit que la veille. Nous déjeunons ensemble puis à mon tour je prends la salle de bains pour une nouvelle douche beaucoup plus rapide que celle prise chez Madeleine dans la nuit.

Nous voilà dans la rue à nous diriger vers le métro, des nuages gris emprisonnent la ville à hauteur des toits, la pluie annoncée depuis quelques jours semble devoir arriver aujourd’hui.

- Ce soir je dîne chez Laure, je ne peux pas me désister, j’ai trop séché ses invitations. Mais je devrais rentrer plus tôt qu’hier.

- Tu ferais mieux de te regarder dans une glace, mon pauvre chéri, tu manques de sommeil ! Toutes ces femmes que tu fréquentes auront ta peau. Bienfait pour toi, ça t’apprendra à négliger la plus belle du monde.

- Et qui est-ce ?

- Celle qui dort chez toi, pauvre pomme ! Ne me fais pas croire que tu ne l’avais pas compris. Ton oncle te rappelle que nous sommes invités à dîner chez lui, il attend simplement que tu fixes une date. Je lui parle de l’année prochaine ? … Dépêche-toi quand même, il va partir en retraite d’ici dix ans.

- Demain soir, ça te va ? Si oui je préviens ma tante dès ce matin.

- Je suis libre comme le vent, j’avoue que vivre chez toi est très reposant, j’y aurai trouvé au moins un avantage.

- Il y en a d’autres pourtant.

- Lesquels ?

- Je te les dirai lorsque, concernant mon humble personne, tu seras revenue à de meilleures dispositions.

- Mon chéri, dit-elle à voix haute comme nous poussons la foule pour nous faire une place dans la rame, ta personne est tout ce qu’on voudra, sauf humble.

- Moins fort, tout le monde t’entend !

- C’est vrai, tout le monde, sauf toi.

Je décide de bouder et lui tourne le dos. Quelques crétins nous observent en riant sous cape, d’autres, des hommes, regardent Flora avec des yeux de crève la faim devant une rondelle de saucisson.

A l’Etoile, elle me quitte sans m’embrasser mais en me souhaitant une bonne soirée.

 

Ma belle brune a raison, je suis complètement cuit après une courte nuit qui ne fut même pas une nuit d’amour. Après la douche prise ensemble, nous nous sommes retrouvés dans son lit immense pour une séance de câlins qui n’appartient qu’à nous et à personne d’autres mais qu’hélas, le sommeil nous attrapant comme des voleurs pris sur le fait, nous empêcha de mener à terme.

C’est elle qui m’a réveillé, je n’ai même pas entendu sonner son réveil. Elle était déjà habillée de son tablier que je lui avais vu le premier soir.

- Tu ne me déranges nullement, dit-elle, mais je crois que tu voulais passer chez toi avant d’aller à ton travail. Habille toi vite, je te prépare un café et t’appelle un taxi.

En bas de l’escalier j’ai jeté un œil sur Sylvia toujours endormie sur le canapé emmitouflée dans sa couverture rose. C’était un ange qui dormait là, un visage rond à la perfection, un pouce au bord des lèvres, un ange brun, peut-être mais un ange quand même. Je me suis remémoré la première Sylvia, celle que j’avais vu entrer dans le café de Madeleine au bras de Didier, celle qui timide avait essuyé les sifflets admiratifs des cinq hommes qui sortaient au même instant avec un sourire compréhensif. J’ai fait le parallèle avec la Sylvia de la veille, il y avait un monde d’écart, largement un monde. Je suis parti comme à regret, n’osant pas un baiser craignant de la réveiller.

 

Il y avait déjà trois hommes au comptoir contemplant d’un regard vide la tasse de café que Madeleine leur avait servi. Ils hésitaient à le boire, on aurait dit que de ce café dépendait la réussite de leur journée. Je bus le mien rapidement, le taxi en double file klaxonnait déjà, impatient.

J’embrassai Madeleine pas autant que je l’aurais souhaité, il y avait des témoins. Je promis de revenir très vite, elle m’assura que c’était nécessaire pour achever dignement ce que nous avions commencé dans son lit.

 

Je retrouve à l’agence ma chère cheftaine toute vêtue de gris avec une jupe bien courte pour ce temps maussade. Elle m’engueule parce que j’ai une tête à avoir bringué toute la nuit, comme si je sortais de boite à l’instant. Je proteste :

- Ce n’est pas le jour à me mettre en boite !

- Monsieur fait de l’humour, s’écrie-t-elle, à la bonne heure, ça prouve qu’il n’est pas complètement éteint.

- T’as vu ta tête ? me charrie Luc.

- Tu préférerais voir mon cul !

Cette répartie déclenche un fou rire mais au moins on me laissera tranquille sur ce sujet.

 

Ce matin nous partons au sud de Paris, un taxi nous dépose dans le centre d’Antony. Il est presque dix heures, j’ai légèrement somnolé pendant le voyage, n’écoutant que d’une oreille fermée l’exégèse des clients de la journée dont Denise de sa voix mélodieuse comme une sonate de Bach me serine sans discontinuer.

On visite cinq clients jusqu’à midi, au pas de charge. Encore une fois, je ne peux qu’admirer le professionnalisme de ma collègue. C’est clair, net, sans bavure et le client apprécie. Tout est mené rondement sans que personne ne perde de temps.

- T’es vraiment bon à rien aujourd’hui, rouspète ma chef ; chez le dernier client j’ai hésité à te présenter comme un collègue ou comme mon cousin trisomique !

- Délicieuse attention.

- Tu devrais rentrer chez toi, dormir un peu. … C’est dans notre direction, n’est-ce pas ?

- Tout dépend d’où l’on va cet après-midi ?

- On a de l’avance sur le programme de la semaine ! Ce matin nous avons fait deux clients qui n’étaient prévus que pour cet après-midi. Avec un peu de chance en présentant la chose avec un joli paquet cadeau, Bertrand devrait gober notre affaire.

- Tu peux être plus claire ?

Elle soupire :

- Cet après-midi, repos ! … Tu roupilles pendant que je me tape les rapports. Ensuite, s’il a bien dormi, je me tape mon collègue.

- Bertrand ?

- Non, crétin, toi !

- Et on fait ça où ?

- Chez toi ! Et ne refuse pas, sinon on bosse tout l’après-midi et je te sucre ton jeudi matin !

- Ah non !

- Te voilà raisonnable. … Il y a quelque chose à manger chez toi ?

- Mon canari.

- On ne va pas sacrifier cette charmante bête ! On trouve un traiteur, on file chez toi, on déjeune puis tu fais la sieste pendant que je me coltine les rapports. Ensuite si tu es bien disposé, et tu as intérêt à l’être, je te montrerai tout l’art d’un bon rapport.

- Tout ce que tu veux pourvu que je dorme un peu.

 

Un taxi nous rapatrie dans le quatorzième, me voilà ramenant Denise chez moi, j’ai hélas encore la sale impression de m’être fait posséder en long en large et en travers.

D’autorité Denise entreprend ses achats chez le premier traiteur venu rue d’Alésia. Elle discute tout, les prix, la quantité, la composition et quand le commerçant tique elle agite sa jupette pour qu’il regarde ses jambes et obtient ainsi tout ce qu’elle veut. Prudent, je reste sur le trottoir à l’observer.

Chez moi elle fait le tour du propriétaire et elle ne peut manquer d’apercevoir les affaires de Flora.

- Tu ne vis pas seul ? Je croyais !

- Non, pas en ce moment. Je loge ma cousine.

Je donne la première idée qui traverse mon esprit embué, je précise toutefois :

- Elle est en froid avec ses parents, mais ça ne va pas durer.

 

Sur mon territoire, Denise perd un peu de sa superbe, elle redevient distante, plus calme, plus serviable comme si elle retombait dans une légère timidité, un peu comme quand elle m’avait accueilli chez elle. Elle n’ose pas se conduire comme la maîtresse de maison et je l’aide à faire la cuisine après lui avoir servi un martini. J’en prends un aussi, que je coupe discrètement avec de l’eau, repos intestinal oblige.

Elle retire la veste de son tailleur et ma souris grise apparaît avec un chemisier rose, presque transparent, de haute qualité. Comme elle est occupée devant l’évier à raconter je ne sais quoi pour masquer son trouble, je me glisse derrière elle et pose mes deux mains sur sa poitrine.

Elle sursaute, et lâche le couteau et le citron qu’elle tenait à la main.

Lentement, elle se retourne :

- Mais c’est qu’il est réveillé mon petit bonhomme !

- Tu as un bien joli chemisier, il serait dommage que tu le salisses.

- Oui, surtout si tu mets tes sales pattes dessus. … Trouve-moi un tablier.

- Je n’en ai pas.

- Que faire alors ? demande-t-elle avec l’air de celle qui a déjà la réponse à sa question.

- Enlève-le.

Elle me repousse, se retourne face à l’évier, reprend son couteau et son citron et déclare d’une voix qu’elle voudrait plus impassible :

- Fais le toi-même, je suis occupée.

Je m’exécute, toujours prêt à aider mon prochain quand il le demande.

 

J’ai pu dormir un peu. Quand je me redresse du canapé, j’aperçois Denise de dos qui, assise devant la table, a le nez plongé dans ses dossiers. Elle est vêtue du peignoir de Flora qu’elle a du prendre dans la salle de bains après sa douche. Finalement, nous n’avons pas exactement suivi son programme à la lettre, nous avons d’abord traité les affaires urgentes, reportant celles concernant la maison Lopaire pour la fin.

Nous avons commencé par déjeuner, Denise à qui j’avais retiré chemisier et soutien gorge déjeunait la poitrine à l’air, agitant sous mes yeux confondus de bonheur deux jolis fruits murs et pleins à souhait, ce qui eut le don de me mettre en appétit. Après le repas on prit le café assis sur le canapé l’un à côté de l’autre nous comportant comme si nous étions assis à la terrasse d’un café, chemisier en moins.

Reposant sa tasse vide sur la table basse, Denise retira le peu de vêtements qui lui restait, qu’elle plia avec soin avant de les déposer sur une chaise puis, elle se coucha de tout son long sur le canapé me regarda avec tendresse et déclara :

- Il te faut maintenant mériter ton salaire.

 

Un peu plus tard je m’endormis en pensant que Flora voyait juste, ces femmes finiront par avoir ma peau. Dans cette séance d’amour, elles étaient même deux, Madeleine venant par moment se substituer à Denise

 

Je me lève sans bruit, en frissonnant car l’atmosphère s’est rafraîchie. Je m’approche d’elle à pas de loup et viens caresser sa nuque sur laquelle dansent quelles bouclettes bien trop courtes pour mon goût. Elle se retourne et attire mon visage sur le sien pour que nos lèvres se rejoignent et à ma grande surprise une bouffée de tendresse m’envahit et m’inonde de chaleur ; cette grande sauterelle me fait un effet bœuf !

- Je me suis servie de ton téléphone, dit-elle. Bertrand ne rentre pas rue de Berri ce soir, nous ne sommes donc pas obligés d’y passer. Demain, en revanche, on met les bouchées doubles. On a deux gros clients à voir dans le neuvième. Je compte sur toi, frais et dispos. On peut se retrouver à quatorze heures dans la grande brasserie en face de la gare St Lazare ? Ca te va ?

- Aucun problème.

- Le matin je me débrouillerai sans toi. Et cette nuit, repos ! … Tu laisses la cousine tranquille.

- Ma cousine ?

- Oui. C’est elle là haut ?

Elle désigne la photo de Flora et de sa sœur que j’ai mise dans un cadre tout en haut de ma bibliothèque :

- C’est elle en effet, elle et sa sœur.

- Et le grand banquier tolère que ses filles posent ainsi !

- Et ton père à toi tolère-t-il que tu trompes ton mari à tour de bras ? A tour de jambes serait plus juste.

- Laisse mon père là où il est je te prie. Dans la mesure où il n’en sait rien, qu’est-ce que ça peut lui foutre ?

- Elles, c’est pareil, leur père n’en sait rien.

- Dans ce cas, tu n’es pas prudent ! Imagine qu’il débarque ici.

- Il ne vient jamais.

- Ah !

Elle prend l’air gêné de la personne qui a trop parlé, ou qui a mis les pieds dans un plat qui ne lui était pas destiné. Elle soupire, puis semble frappée par une idée lumineuse :

- Tu ne nous ferais pas un thé, mon grand ? … Tu en as au moins ?

- Rassure-toi, je sais ce que c’est. Mais laisse-moi le temps de m’habiller.

 

Elle a terminé les rapports sur les clients visités et sur ceux que nous sommes sensés avoir visité. Je  sers le thé tout en l’écoutant :

- Demain matin je vois Bertrand, il valide tout cela ensuite je donne le bébé à Solange pour qu’elle rentre les nouvelles données dans l’ordinateur et qu’elle mette les dossiers des clients à jour. A quelle heure rentre-t-elle cette volcanique cousine ?

- Vers sept heures, pourquoi ?

- Je ne voudrais pas qu’elle me trouve dans cette tenue.

- Elle a déjà vu pire.

- Je l’imagine volontiers. En plus j’ai son peignoir sur le dos. C’est à elle, n’est-ce pas, c’est un truc de femme ça ! …Tu n’as pas honte de pervertir ces deux filles, dit-elle en prenant le cadre dans ses mains ? C’est toi qui as pris la photo je suppose ?

- Tu supposes mal.

- Ah ! En tout cas, elles sont ravissantes. … Mais … ?

Son front se barre d’inquiétude comme celui d’Hercule Poirot quand il met le nez dans un nouveau mystère :

- Je croyais qu’elles étaient blondes les filles Lagarde ? … Oui, quelqu’un m’a dit qu’elles étaient blondes, et ce n’est pas toi. Un client qui a des comptes chez leur père.

- Tu sais, la couleur des cheveux, ça va ça vient ! dis-je avec un air évasif qui sonne faux.

- Hein ? … Ouais, c’est possible, dit-elle nullement convaincue.

 

Elle repose le cadre à sa place et vient s’asseoir devant sa tasse. Comme elle passe devant moi, je tire sur la ceinture du peignoir qui s’ouvre comme la caverne d’Ali Baba, sur une montagne de trésor. Elle n’esquisse aucun geste de défense et semble ravie que je trouve à ses charmes un goût de reviens-y.

Elle me regarde avec un joli sourire de tendresse, un rien maternel, et entre nous passe un courant, un lien, quelque chose qui nous unit, une petite chaleur partagée, deux êtres qui s’attachent et se détachent au hasard avec le même plaisir serein, qui se comprennent d’un battement de cils, qui cueillent à deux les fleurs du bonheur que la vie veut bien déposer sur leur chemin.

Elle me caresse le visage avant de le couvrir de baisers doux comme les premiers rayons du soleil un matin d’été.

- Je crois que nous allons faire du bon boulot, tous les deux. Bertrand compte sur nous ! Il faut réveiller nos collègues et dégoter de nouveaux clients. … Coucher entre collègues, finalement, il n’y a rien de mieux pour redynamiser une équipe, se donner mutuellement du tonus, aborder les problèmes quotidiens sous un nouvel angle …

- C’est une suggestion qui ne manque pas d’intérêts ! … Tu devrais approfondir cette idée et donner des conférences ou écrire un livre. Le succès du «  management « par la sexualité, ou comment une partouze entre collègues garantit les résultats de votre entreprise, par Denise Darin. qui tient à vous faire profiter de son expérience personnelle. … Chers collègues, notre prochain séminaire n’aura pas lieu dans un hôtel à la con comme à l’ordinaire, mais chez Madame Claude où nous passerons la journée complètement à poil pour le bien de notre entreprise certes, mais aussi pour notre plaisir personnel, puisque désormais, l’un ne va plus sans l’autre …

 

- T’as fini de faire l’andouille ? … C’est plutôt toi qui devrais te plonger sur les relations sexuelles entre collègues !

- Moi ?

- Oui. Ne me dis pas que tu as déjà oubliée Laurence, Maryse et d’autres …

- Je n’oublie jamais rien et encore moins personne.

- Et Michelle ?

- Michelle ! … Quoi Michelle ?

- Elle a changé depuis quelques jours, et même bien changé ! J’ai surpris des regards entre elle et toi. Forcément, je me pose des questions.

- Mais je n’y suis pour rien, nom d’une pipe ! Je sais qu’elle a balancé hors de sa vie son fameux Daniel et qu’elle a rencontré quelqu’un d’autre.

- Et ce n’est pas toi ce quelqu’un d’autre ?

- Non.

- Pourtant elle n’habite pas chez elle en ce moment, deux soirs de suite j’ai essayé de la joindre au téléphone. Elle ne logerait pas ici par hasard et ce peignoir ne serait pas le sien ?

- Poses lui la question, après tout tu la connais depuis plus longtemps que moi.

- Ne crois pas que je sois jalouse, se défend-elle …

- C’est pourtant l’impression que tu donnes.

- Non, mon grand, tu te fais des idées. … je suis mariée, j’ai une vie ailleurs en dehors de la maison Lopaire. Je prends du bon temps avec un collègue, je vole mon plaisir là où je le trouve mais question sentiments, j’ai tout à la maison. Alors tu peux faire ce que tu veux avec Michelle, ta cousine, ta tante, ta sœur ou n’importe quelle bonne femme qui te plait, je m’en moque et ne veux même pas le savoir. … Je me demandais simplement si tu étais pour quelque chose dans le changement aussi subit que profond de notre vieille camarade Michelle.

- Tu te contredis, ma pauvre, tu cries bien fort que tu ne veux rien savoir et t’avoues plus bas que tu te poses quand même des questions ?

Elle sourit, vaincue :

- C’est vrai, tu as raison. … En tout cas, si c’est toi pour Michelle, continue. C’est un vrai plaisir de la voir épanouie de la sorte.

- Et si on s’épanouissait tous les trois, ça te permettrait de mettre ton ouvrage en chantier.

 

Elle me dévisage un petit moment avant de réaliser ce que je viens de lui proposer :

- A trois, ce n’est plus du plaisir, c’est du vice !

- L’un ne va pas sans l’autre.

- Quoi ! … Je n’en sais rien. Je ne pense pas à dire vrai ! … Quant à être trois, je préfère être seule avec deux hommes. Si ça te dit !

- Bonne idée, appelons Mizeron !

- Andouille ! … ne me parle pas de ce gros vicelard, compris ?

- Mais c’est toi qui l’as rendu ainsi !

- Moi ! Certainement pas. Il est né comme ça. Toi aussi d’ailleurs, comme tous les hommes.

- Ben voyons !

 

Elle se débarrasse du peignoir en me le jetant dessus et s’empare de ses vêtements qu’elle enfile rapidement :

- Je dois partir, ce sera toujours mieux que d’écouter tes idioties. A propos, tu m’expliqueras pourquoi tu te promènes avec un double du dossier de l’A.C.A.E. dans ton cartable.

- Parce que tu fouilles dans mon cartable maintenant ?

- J’ai simplement cherché quelques données sur les clients que nous traitons ensemble, cher collègue. Parce que je bossais, moi, pendant que tu roupillais comme un bien heureux, repus de sexe et d’alcool.

- Figure-toi que je suis un employé consciencieux, j’imite ma grande cheftaine adorée dont je satisfais tous les plaisirs en ramenant du travail à la maison. J’ai fait un double de ce dossier pour que nul ne remarque son absence.

- Mais le dossier est terminé pour cette année, suite à ta rencontre avec Padoucy et aux largesses financières dont tu as bénéficié.

Je corrige immédiatement :

- Dont nous avons bénéficié. … Mais tu as raison, j’ai simplement omis de me débarrasser de ce double.

- Je ne me contenterai pas de cette explication, Charles. … Tu n’es pas homme à commettre ce genre de bévues. Mais, sois patient, je vais te concocter quelques tortures raffinées qui t’obligeront à me dire la vérité. Fais-moi confiance !

- J’en bave à l’avance !

- Tu peux ! … sur ce, je me sauve ! Mais je reviendrai, ta formation n’est pas terminée, … et j’avouerai bien volontiers que tu es un bon élève, intéressant, nullement décevant ! C’est un plaisir de travailler avec toi.

- Le mot est bien trouvé.

Elle s’agrippe à moi pour m’embrasser avec force puis, se retire à regret et une fois sur le palier avant de disparaître dans l’escalier elle déclare :

- Surtout, n’espère pas profiter de mes faiblesses !

- Ni toi des miennes !

- Toi ? … tu n’en as aucune !

 

                       

Il est tout juste cinq heures quand Denise s’en va. Je me précipite sur mon téléphone et compose le numéro de Padoucy. Par chance, il est bien sur Paris et disponible. Il m’attend maintenant.

Quarante minutes plus tard je suis introduit dans son bureau, une vaste pièce habillée de doré, il m’accueille avec un vif intérêt.

- Je vous écoute, mon jeune ami !

- Avant toute chose, Monsieur, votre comptable, celui qui a rédigé ce bilan et qui gère votre trésorerie est ici.

- Vous voulez qu’il assiste à l’entretien ?

- Oh non, mais …

- De quel comptable voulez-vous parler ? m’interrompt-il étrangement.

Je cherche le nom dans mon dossier :

- De Monsieur Rignal, celui qui a signé ce bilan.

- Ah, Monsieur Rignal n’est plus chez nous, et avant que j’aie le temps de répondre, il ajoute :

- Il nous a quitté il y a trois mois, en début d’année.

- Pourtant je vois là sa signature suivie de la date du 3 mars.

- Oui, je sais. Il a signé des documents blancs avant de partir, c’était plus simple pour nous.

- Et vous avez eu de ses nouvelles depuis son départ ?

- Non. Mais nous n’en attendions pas. Il avait des problèmes conjugaux, sa femme l’a plaqué et a mis ses comptes bancaires à sec. Il est retourné en province, il est de Dijon ou quelque chose comme ça. Pourquoi toutes ces questions ?

- Parce que ce Monsieur Rignal vous a escroqué ; il a détourné de l’argent, ça ne fait aucun doute.

- Pardon ? … Rignal, un escroc ! … C’est à se tordre. On voit que vous ne l’avez pas connu.

- Non, mais j’ai vu son travail.

 

Il faut moins de dix minutes à Padoucy pour réaliser que ce que j’avance est authentique. Fausse facture, règlement détourné, augmentation de quittance jamais honorée, ce brave comptable timide et obscur s’est mis en deux ans un peu plus de trois cent mille francs de côté, une bagatelle pour le groupe Cortel mais de quoi voir venir pour un petit employé à deux doigts de la retraite.

Padoucy est vert de rage ; pas tellement à cause de la somme disparue mais parce que quelqu’un qu’il considérait comme insignifiant l’a profondément entubé en le prenant pour un con. Il hurle dans son interphone :

- Virginie ! Qu’on me trouve Garanchon et au trot !

- Je crois qu’il est déjà parti ; répond tranquillement la voix douce appartenant à la charmante secrétaire qui m’a introduit précédemment.

- Déjà !

- Dame, il est bientôt dix-huit heures !

Padoucy sort de derrière son bureau comme une furie :

- Vous, attendez-moi là ! me jette-t-il.

Il ouvre sa porte avec fracas, et à grandes enjambées se rue dans le couloir. Je me lève et sors à mon tour mais avec calme et dignité et me retrouve nez à nez avec la dénommée Virginie qui vient aux nouvelles. C’est une jolie blondinette, une jeunette de vingt deux ans tout au plus, vêtue d’une jupe écossaise suffisamment courte pour qu’on s’y intéresse mais pas trop pour s’éviter des jugements hâtifs et d’un chemisier blanc bordé de dentelles et ouvert sur des rotondités qui appellent mes yeux, mes mains …

- C’est vous qui l’avez mis dans cet état ? me demande-t-elle nullement affolée mais en souriant comme pour me remercier d’un bon tour que j’aurais joué à son patron.

- Indirectement, oui.

- Qui êtes vous ?

- Maison Lopaire et fils, ou Charles pour les dames !

- C’est à propose de l’ACAE ?

- Exact.

- Je crois qu’on a des petits soucis en ce moment avec eux.

- Je viens d’en révéler des gros à votre patron qui visiblement les ignorait. C’est ce qui explique son violent courroux. Vous devriez garer vos jolies fesses si vous ne voulez pas qu’il se venge dessus.

Elle rit gentiment mais plus par charité que pour la pertinence de ma réplique.

- Ca m’a l’air drôlement passionnant ce que vous lui avez raconté. On peut savoir ?

- Il n’est pas dans mes cordes, Mademoiselle, de vous donner des informations auxquelles vous n’êtes pas destinée !

- C’est dans les écoles de comptabilité qu’on apprend à s’exprimer si bien ?

- Dînez avec moi, et vous aurez la réponse.

- Attention, le revoilà !

Et elle s’en retourne dans son bureau sur la pointe des pieds

 

Padoucy toujours en pétard déboule dans son bureau suivi d’un homme d’une soixantaine d’années bedonnant à souhait et cravaté comme un yéyé de l’époque la plus furieuse.

- Monsieur Permini, me présente-t-il, notre directeur général.

Je réponds «  enchanté « et songe à mon carnet d’adresse qui commence à s’étoffer de belle manière :

- Refaites-moi, une synthèse rapide de ce que vous venez d’expliquer à monsieur Padoucy, je vous prie, jeune homme.

 

Je fais donc le résumé des coupables agissements du sieur Rignal qui a résilié toutes les assurances de l’ACAE mais a continué de les régler par des chèques créditant certainement un compte à lui, à inventé des factures d’électricité, de gaz et d’autres entre des réelles dont les règlements ont suivi le même chemin plus d’autres frais divers et peut-être encore d’autres surprises que je n’ai pas découvertes.

Permini ne met guère plus de temps que Padoucy pour réaliser que je n’invente rien.

- Qui signait les chèques ? demande-t-il à Padoucy bien qu’il n’ignore pas la réponse.

- Diane et moi.

- Et Savin, qu’est-ce qu’il fout là dedans ?

- Il dirige l’entreprise sur le terrain, ne s’occupe en rien de tout ce qui est administratif, tente Padoucy pour adoucir l’humeur de son supérieur.

- Heureusement qu’on va se débarrasser de cette boite ! … Porter plainte contre Rignal, lancer des poursuites. On doit le retrouver. Avec trois cent mille balles, on ne va pas loin. Quand à vous jeune homme, merci d’avoir découvert ce pot aux roses, je veillerai moi-même à féliciter les frères Lopaire du zèle ce leur employé.

 

Il quitte le bureau de Padoucy en maugréant encore :

- Et Garanchon, comptable à la noix, pas foutu de voir les conneries de son prédécesseur ! Je suis entouré d’une bande d’incapable, incapable tous … 

Le reste se perd dans les profondeurs des somptueux locaux de la maison Cortel, une porte qui claque agite les murs et les cloisons de l’immeuble.

- En pétard, dis-je en désignant du pouce la direction prise par le grand chef des lieux.

- Ca lui passera bien que je ne puisse pas lui donner tort. … Merci de m’avoir fait part de vos découvertes ...

Je tente de protester mais, une fois de plus, il me devance :

- Non, non, dit-il, rien ne vous obligeait à nous les communiquer, après tout ce ne sont pas vos affaires. C’est Bertrand Lopaire qui vous a demandé de venir me voir, d’ailleurs il aurait déjà du m’en parler.

- Monsieur Lopaire ne sait rien, je n’ai mis personne au courant de ma découverte.

- Et cette grande sauterelle de Denise ne sait rien non plus.

- Non !

- Tant mieux, j’aime mieux traiter avec vous qu’avec elle. Toujours à nous agiter ses grandes guibolles sous le nez comme si elle nous faisait une faveur. Et bien, gardez votre secret pour vous, je ne voudrais pas que ce brave Bertrand ne pique une crise d’honnêteté sur mon dos. Vous pouvez me laisser votre dossier avec toutes les preuves.

- Oui, je n’en ai plus l’utilité.

 

Et je sors le double du dossier de l’ACAE que la sournoise Denise a débusqué dans mon cartable, sans Dieu merci, y glisser son nez torve dedans.

- Merci ! Garanchon, celui qui remplace Rignal va se plonger dedans demain, dès la première heure. En attendant on va boire un coup. Ce n’est pas qu’on a quelque chose à fêter mais ça nous remontera le moral. Cette enflure de Rignal, quand j’y pense ! … Soyez gentil Charles, dites à la demoiselle qui se trouve dans la pièce à côté d’aller nous préparer à boire dans le salon, elle comprendra. Accompagnez la, je vous rejoins, le temps de préparer votre récompense. … Et ne la refusez pas, s’il vous plait ajoute-t-il en devançant mes scrupules.

 

Je sors donc, on ne peut plus satisfait de mon entretien. Non pas que j’attendais un geste de la part de Padoucy mais je voulais voir comment une grosse boîte comme la Cortel réagissait devant ce genre de difficulté. La belle Virginie est fidèle au poste mais accrochée à son téléphone dans une conversation qui n’a rien de professionnel puisqu’il s’agit de cinéma et des nouveautés à voir.

- Monsieur ? demande-t-elle en bouchant le combiné avec sa gentille petite main aux doigts étonnamment longs.

- L’éminent personnage du bureau contigu au votre Mademoiselle, m’envoie vous demander d’aller préparer des rafraîchissements dans le salon où je dois vous accompagner en attendant qu’il nous rejoigne.

- Vous parlez toujours comme ça ou vous le faites exprès.

- Devinez ; mais dépêchez-vous car il a très soif et moi aussi. J’ajouterai qu’il n’est pas enclin à être patient ce soir.

- Je me doute.

 

Puis elle ajoute dans le combiné :

- Je te quitte Agnès, on a besoin de moi. Je te rappelle ce soir.

- Bonne idée, dis-je tandis qu’elle se lève et vient coller son joli petit corps et sa coupe au carré à un centimètre de mon nez fripon :

- Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre, Monsieur.

- On dit plaisir quand on est jolie comme vous, pas peine !

- Très juste ! C’est vous qui auriez du me dire : «  donnez-vous la peine de me précéder jusqu’au salon.

- Oh mademoiselle ! j’aurai honte à prendre du plaisir là où vous prenez de la peine.

- Vous essayez de me faire croire que vous êtes bien élevé ? Vous allez avoir du mal, en matière de bonne éducation j’en connais un rayon.

 

Je la suis à travers un dédale de couloir en ne lâchant pas des yeux sa jupette écossaise dont les couleurs valsent autour de sa taille à chaque enjambée. Elle marche vite mais je ne sais si c’est par crainte de Padoucy ou pour la joie d’être débarrassé de moi le plus vite possible.

Enfin nous pénétrons dans une grande salle qui doit faire office de salle de réception pour cocktail ou lunch enfin une ses grandes activités dont les brasseurs de millions sont friands. Ce soir elle est vide quand nous y entrons. Sur le mur en face de nous se dresse un bar géant comme celui d’un hôtel avec chrome et glace immense. Virginie passe derrière le comptoir et se plante devant moi et demande :

- Alors, la maison Lopaire, qu’est-ce qu’on boit ? … De la bière tiède à deux sous, du gros rouge qui tâche, du viandox, de la soupe à l’ail … que sais-je encore.

- Vous !

- Moi, quoi ?

- Vous, je vous bois du regard !

- Oh, vous m’en direz tant ! Doux labeur qui ne manque pas de charme, mais ce n’est pas ainsi que vous allez calmer votre soif.

- Exact. Je vais attendre Monsieur Padoucy, c’est plus correct.

- Il prend toujours un whisky, un Chivas. Mais nous avons autre chose.

- Ca me semble parfait.

 

A cet instant la porte s’ouvre en coup de vent sur Padoucy qui discute avec quelqu’un resté dans le couloir :

- Ah vous êtes là, s’écrie-t-il ; Virginie, sers moi un Chivas et demande à notre ami ce qu’il veut. Et toi aussi, prends quelque chose, je reviens de suite.

J’ai tiqué au tutoiement et Virginie s’en est aperçue puisqu’elle guette ma réaction :

- C’est l’usage de tutoyer sa secrétaire chez Cortel ?

- Non, répond elle avec sérieux, sauf s’ils entretiennent des liens autres que professionnels.

- Et c’est le cas ?

- Vous voulez dire entre Monsieur Padoucy et moi ? Oui, c’est le cas. Vous avez quelque chose à redire ?

- Non, vous faites ce que vous voulez, bien sûr !

- Sauf que là je n’ai pas eu mon mot à dire.

 

Je sursaute et la dévisage avec des yeux ahuris :

- Pardon ! Vous ne voulez pas dire que …

- Qu’entre Monsieur Padoucy et moi, je n’ai pas eu le choix de la relation ? Et bien oui, elle m’a été imposée. ... Remarquez, à l’usage, je ne me plains pas. J’aurais pu connaître bien pire.

- Mais enfin, c’est dégueulasse !

- Ca vous choque ? … Pourtant ça c’est fait très naturellement.

- Mais enfin … je cherche mes mots … il pourrait être votre père !

- C’est vrai, dit-elle avec un ton désinvolte nullement consciente de ce qu’elle dit, on me fait souvent cette réflexion.

 

Padoucy revient sur ses entre faits :

- Mon whisky, ça y est ma chérie ? … Tu es un ange !

S’il me tend une enveloppe avec sa récompense, je la lui balance à la gueule à ce gros vicelard pourri et je lui dis de se la coller au train. Il n’a pas honte, une jeunette pareille ?

Et bien apparemment non, il n’éprouve aucune honte et Virginie non plus qui lui demande avec son plus beau sourire :

- Désires-tu un glaçon ?

- Non, je vais le boire sec, j’ai besoin d’un bon remontant.

 

Il a l’air plus serein que dix minutes plus tôt, comme s’il avait déjà mis son mouchoir par-dessus l’affaire Rignal. Il me désigne du menton, tandis qu’elle me tend mon verre :

- Notre ami que voilà, nous a apporté une mauvaise nouvelle, mais nous lui pardonnons bien volontiers. C’est toujours bénéfique ces petites contrariétés de la vie courante, ces petits coups douloureux qu’on prend sur le coin du museau ! Ca nous maintient en éveil, ça rabaisse notre orgueil et nous révèle que nous ne sommes pas infaillibles.

- Si tu me disais de quoi tu parles, je comprendrais mieux, non ?

- Excuse-moi ma chérie ! Sors de derrière ce bar que je te présente notre ami Charles. … Ca ne vous ennuie pas que je vous considère comme un ami ?

 

Je ne réponds pas mais il ne s’en aperçoit pas. Il prend Virginie par l’épaule et la serre contre lui et, de les voir ainsi l’un à côté de l’autre, je réalise avant qu’il n’ait le temps de me déclarer :

- Charles, je vous présente Virginie, ma fille aînée ! … Pourquoi riez-vous tous les deux ?

- C’est lui, t’as vu sa tête ! s’écrie en riant la blondinette qui m’a fait marcher.

- Je vois que vous avez eu le temps de sympathiser  … Virginie est stagiaire chez nous, dans le cadre de ses études de commerce, elle remplace ma secrétaire habituelle qui s’est enfin décidée à procréer à bientôt quarante ans. J’avoue qu’avoir sa propre fille à disposition pour le travail, c’est très commode.

- Papa aurait même tendance à abuser. Heureusement que je ne me laisse pas faire ! … Tu disais, Papa, tout à l’heure à propos de coups sur le museau et d’infaillibilité …

- Des généralités sur la condition humaine qui passent très au dessus des oreilles des simples petites secrétaires aussi jolies soient-elles, je parle des oreilles, bien sûr. Charles ici présent est expert comptable chez les frères Lopaire, cabinet comptable hautement réputé sur la place de Paris dont tu as déjà entendu parler. Ce jeune homme gère plusieurs sociétés à nous dont l’ACAE et nous avons déjà eu, à maintes reprises, le loisir de mesurer la chance que nous avons de collaborer avec lui.

- C’est là un jeune homme bien précieux, déclare Virginie d’un ton pompeux pour se moquer.

- Précieux et sérieux, reprend son père, regarde le bien, il ne ressemble en rien aux jeunes écervelés que tu ramènes à la maison.

- Hum, … Possible ! En tout cas, il est joli garçon, impossible de nier le contraire.

- Merci Mademoiselle !

 

Je tente vainement de rougir sous le compliment mais ce n’est pas facile.

- S’il est aussi expert que tu le dis, sans doute verra-t-il que je ne ressemble en rien aux pécores qu’il fréquente habituellement.

- Que Mademoiselle se rassure, je ne fréquente aucune pécore ; mais à l’occasion, je suis prêt à me laisser tenter.

- Monsieur a de la répartie, c’est bien !

- Je te le dis Virginie, c’est un jeune homme précieux ! Il n’a d’ailleurs pas de temps à perdre en bavardage inutile. Charles, il faut qu’on se revoie. Je dois passer rue de Berri la semaine prochaine, on trouvera bien un moment pour parler de notre affaire. A propos, j’ai entendu dire que Mizeron était muté à la Défense.

- Oui.

- Qui le remplace ?

- Denise.

- Et bien, ça va vous changer, ce n’est pas le même genre.

- Tant mieux, je préfère ce nouveau genre.

- Je vous comprends. Et Michelle, toujours en pleine forme ?

- Oui.

- En voilà une belle femme ! … Tu n’es pas la seule sur terre ma chérie, désolé de te décevoir !

- Bof ! fait Virginie pas convaincue du tout.

Je demande :

- Vous êtes toujours décidé à vous séparer de l’ACAE ?

- Toujours ; la mise en vente sera officielle dès lundi. Nous ne pouvons plus reculer.

- Il se murmure qu’il y a déjà du monde sur l’affaire.

- C’est exact. … C’est votre oncle qui vous en a parlé.

- Un peu, oui !

Padoucy rit franchement :

- J’admire votre prudence, Charles ! … Pourquoi ne travaillez-vous pas avec lui ? Vous pourriez avoir une situation et un travail beaucoup plus passionnants. … Ou même chez nous ! Je crois que d’ici peu on va rechercher un comptable un peu plus averti que Garanchon. Vous ne m’avez pas l’air très ambitieux, je me trompe ?

- J’ai mes habitudes chez Lopaire, et je m’y sens bien. Le départ de Mizeron me donne un peu plus de responsabilité.

- Mizeron, vous ne l’auriez pas un peu poussé vers la Défense ?

- On peut voir ça comme ça.

Il rit de nouveau :

- Et avec Denise, ça va ? … Parce qu’elle n’est pas facile dans le travail, efficace mais exigeante.

Je me suis toujours bien entendu avec elle. C’est même très agréable de travailler en sa compagnie.

 

Evidemment, je ne peux expliquer à Padoucy, devant sa fille de qui plus est, jusqu’à quel point Denise et moi sommes enchantés de collaborer ensemble ni à donner les détails de notre occupation commune de ce début d’après-midi. Mais, je crois qu’il en rirait, qu’il trouverait cela plaisant.

Profitant que sa fille nous tourne le dos, il me glisse une enveloppe dans la poche. Elle est moins épaisse que la première mais, on ne peut pas tout avoir, le beurre, l’argent du beurre et la fille du client.

Il me remercie encore, je salue Virginie qui me tend de nouveau sa main aux doigts merveilleux, Padoucy me raccompagne jusque dans la rue, le groupe Cortel occupe l’immeuble au grand complet.

Je saute dans un taxi, je dois repasser chez moi me changer avant d’aller dîner chez Laure. Que vais-je faire là-bas ? … Ah oui, une déclaration d’amour devant témoin. Amusant, non ?

 

Rue Alphonse Daudet, pas de Flora. Je dissimule sous le tiroir des couverts l’enveloppe de Padoucy de laquelle j’ai retiré au préalable mille des cinq mille francs qu’il m’a donnés. Pour ma soirée ça devrait aller. Je ressors l’enveloppe de Flora que je dispose à nouveau sur la table de la cuisine. Je l’avais caché discrètement à l’arrivée de Denise, avec elle, on n’est jamais trop prudent quand il s’agit d’argent.

Je fais un peu de ménage de manière à ne laisser aucune trace du passage de ma chef impétueuse et pour éviter que Flora ne me pose des questions. J’écoute mon répondeur qui est aussi plein que moi certain samedi soir. D’abord, ma mère qui s’inquiète de savoir si je viens bien ce week-end et qui se plaint de ne pas avoir de mes nouvelles, éternel refrain. Ensuite, Monique, la chauffeuse de taxi, c’est ainsi qu’elle se présente qui me prévient que sa fille ignore tout de ma nuit chez sa mère et que ce serait bien de la laisser dans cette ignorance, attention donc à ne pas faire de gaffes le soir où je viendrai dîner. Maureen, qui n’a pas perdu de temps à trouver mon numéro de téléphone à partir de mon adresse qui se trouve sur le chèque que je lui ai laissé la nuit dernière :

«  Bonjour Charles. Je t’attendrai tous les soirs jusqu’à la fin des temps chez Maurice. Notre public nous réclame et je suis impatiente de chanter de nouveau avec toi. Il est des partitions où nous pourrions faire des merveilles tous les deux. Je t’attends et t’embrasse en attendant. Reviens vite sinon je me fais couper les cheveux ! « 

Le dernier est de Cécile qui a appelé cinq minutes avant que je ne rentre. Elle me rappelle que nous sommes mercredi et qu’elle m’attendra toute la nuit et ce pour la dernière fois. «  J’espère que t’as compris le message «  conclut-elle.

Parfaitement, cinq sur cinq. Maureen, Monique, Cécile, Madeleine, cet après-midi Denise, ce soir Laure ou Sophie ou les deux. Rappelez-moi mon non, s’il vous plait. … Casanova ! Merci. Je me disais aussi. Sans compter Flora, Flora qui ne revient pas et qui peut-être est la seule que j’attends.

 

Je suis prêt, rasé, douché, parfumé habillé. J’ai rappelé ma mère, oui j’arrive bien vendredi soir comme prévu au train de vingt deux heures et quelques.

Je vais être en retard avenue Kléber, qu’importe, chacun utilise les armes à sa disposition. Et Flora toujours absente quand je referme ma porte.

 

- Le voilà ! s’écrie-t-on alors que je n’ai pas encore atteint l’étage où crèche les rejetons des parents de Clouay. Sophie m’attend sur le seuil de l’appartement dans une tenue qui inciterait un aveugle à la violer. Une jupette bleue qui a du être faite sur mesure tant elle enserre bien ses fesses et rien de plus et un chemisier noir mais transparent à souhait qui ne laisse rien cacher des formes généreuses qui dansent derrière comme des ombres chinoises. Laure m’accueille comme à l’ordinaire, comme s’il n’y avait pas entre nous ce challenge qu’elle m’a fixé. Elle porte une robe moulante et courte que je ne lui ai jamais vue, dans des tons roses, boutonnée sur le devant, des boutons noirs qui n’attendent que mes mains :

- Bonsoir Charles, heureuse que tu aies daigné te joindre à nous.

- Bonsoir mon amour !

- Ca ne compte pas, personne ne t’a entendu, sourit-elle désolée avant de me tourner le dos.

 

Nous sommes dix ce soir, tous d’un âge compris entre vingt deux vingt trois ans et vingt huit, moi qui suis le plus vieux. Deux couples, trois filles célibataires dont une que je vois pour la première fois et qui répond au doux nom de Géraldine, Laure et Sophie, les deux compères (restons polis) et moi, toujours le seul garçon célibataire à être invité. Toutes les filles sont ravissantes comme d’habitude, Laure ne fréquente que des beautés et je sais pourquoi depuis peu. Anne et Thomas comme Armand et Céline, rien à dire de ces deux couples, non mariés mais ensemble depuis un long bout de temps, ils sont là pour meubler, pour donner un peu de sérieux à la soirée. Les deux autres filles, Patricia intellectuelle prétentieuse, vingt six ans, joli minois mais pourrie d’orgueil se spécialise dans le droit international et travail dans un cabinet d’avocat  près du théâtre Marigny. Il m’arrive de la croiser en semaine et je la salue quand je ne peux pas l’éviter. Je crois qu’elle a fréquenté elle aussi Jean-Bernard c’est pour ça que je me suis toujours étonnée que Laure continue à l’inviter. L’autre, Barbara, brunette au visage rigolo, ronde aux meilleurs endroits, traîne sur les bancs de je ne sais plus quelle haute école où elle se contente du minimum vital. Elle habite un grenier immense de la rue Raspail qu’elle a joliment décoré où elle loge une bande de paumés qui passent leur temps à fumer, picoler, gratter des guitares et pire. L’immeuble appartient à sa famille, je l’ai raccompagnée quelques soirs et dormi parfois. Mais d’une fois sur l’autre elle semble oublier que je suis déjà monté chez elle et reste persuadée que c’est ma première venue. Ca devenait lassant et je me suis lassé, voilà bien un an que je ne suis pas rentré avec elle. C’était avant Cécile, il faut dire.

Géraldine, forcément m’attire comme chaque nouveauté que je vois débarquer ici. C’est une grande blonde aux cheveux courts qui n’a guère fait d’efforts de toilettes, au contraire des deux autres. Elle porte un pantalon trois quarts blanc qui laisse découvertes deux chevilles délicates en guise d’apéritif et une sorte de sous-pull noir à col roulé qui cache le meilleur de sa peau comme si elle en avait honte. Elle parle peu et semble intimidé alors que je lui trouve un regard froid qui parait n’avoir peur de rien.

Gilles ne montre jamais son nez aux soirées de sa sœur, sans doute craint-elle que ces débordements, le point d’honneur qu’il met à ne jamais attaquer un apéro sans être saoul au préalable, et la jolie chaire fraîche déballée autour de sa table ne transforment sa petite fête en nuit de cauchemars. Gilles est souvent absent le soir, mais il m’est arrivé plus d’une fois de le découvrir seul dans sa chambre, une bouteille à la main entrain d’écouter de la musique un casque sur la tête.

 

Comme d’habitude, Sophie est aux fourneaux, elle nous concocte des plats toujours originaux, souvent délicieux, sous la haute direction de Laure qui l’abreuve de conseils, de remarques et d’engueulades qui finissent en éclats de rire. Le vin est à ma charge, c’est un rite institué par Laure depuis déjà quelques temps. Soit j’en achète en venant si j’ai le temps et si j’y pense soit je descends dans la cave de son père à l’insu de Laure, sachant depuis bien longtemps et grâce à Gilles, où la clef est cachée.

Après avoir salué tout le monde et posé les questions d’usage entre gens bien élevées, je vais faire un tour à la cuisine où se trouvent donc les deux inséparables. Je stoppe net sur le seuil de la porte. Toutes les deux me tournent le dos, debout l’une à côte de l’autre, Sophie remuant une sauce sur le feu pendant que Laure collée sur sa gauche une main sur une épaule lui susurre je ne sais quoi à l’oreille pendant que l’autre main glissée sous la jupe de son amie lui pétrit les fesses avec tendresse. La jupette déjà courte se relève un peu plus, inutile d’en voir plus pour comprendre que Sophie à laisser ce soir ses appas moelleux en liberté.

Je disparais sans bruit ; cette fois je n’ai nullement besoin d’un dessin.

 

L’apéritif s’éternise toujours un peu dans ces soirées, nous sommes assis dans ce merveilleux salon richement aménagé. Sophie, qui fait des allers-retours en cuisine pour sur veiller ses casseroles restent debout à chaque apparition, plantée sur ses jolies jambes, nues, bien dessinées, légèrement teintées.

La conversation roule autour des élections et chacun y va de son pronostique, de son futur gouvernement, des conseils à donner aux battus du premier tour, du report des voix qui se sont portées sur Le Pen. Le whisky est de qualité, je me console avec. Un fond de jazz désespérant meuble les silences, assez rares toutefois.

Laure est assise dans le vieux voltaire qu’elle s’est octroyée depuis la retraite de ses parents en Sologne. Auparavant, c’était celui de son père. Elle se tient en face de moi, et semble un peu en retrait de l’ambiance chaleureuse de ce début de soirée. Elle me jette de fréquents coups d’œil dans lesquels je distingue des lueurs d’encouragement. Serait-il possible que l’humeur du jour de cette beauté parfaite ne tienne qu’à une phrase que je vais ou pas déclamer ?

A cette heure, je ne sais encore ce que je vais lui dire, sans doute ce qu’elle désire entendre. Le plus moment le plus opportun me semble être au dessert, qu’elle accompagne généralement d’un champagne pour arroser un évènement qui a touché l’un d’entre nous dans les jours précédents. Va-t-elle fêter sa rupture d’avec Jean-Bernard, cette garce en est capable.

Sur un signe de Sophie nous passons à table, pas trop tôt, parce que j’ai faim. Et que j’ai un stock de whisky à éponger dans l’estomac. Je manœuvre habilement pour me retrouver assis à côté de Sophie, à ma gauche, car j’ai bien l’intention de surveiller ses moindre faits et gestes et d’admirer au plus près la douce et tendre rondeur de ses cuisses. A ma droite, Laure d’autorité place Géraldine, la petite nouvelle  qui semble aussi étrangère dans cette soirée qu’un indien abandonné sur une banquise

On attaque par des pâtés qui viennent tout droit de Sologne confectionnés par la mère de Laure dont c’était, je me rappelle, la spécialité. Laure en profite pour raconter son séjour dans le château de famille près de Salbris ou elle s’est réfugiée suite à la trahison de Jean-Bernard que plus personne autour de cette table n’ignore. Sophie, comme à son habitude, s’est dévouée pour lui remonter le moral. Elles ont faits de belles balades dans l’immense forêt qui entoure la propriété, à pieds et à cheval, visité quelques petits villages charmants, arpenté des marchés locaux, tentés de pêcher des carpes dans la multitude d’étangs qui couvrent cette ancienne région de marais, dévoré des repas de deux heures, passé une bonne partie des nuits à discuter devant le feu de bois de l’immense cheminée ou à contempler les clairs de lune solognots qui donnent à cette mystérieuse campagne une couleur comparable à nulle autre, bref, à oublier pendant quelques jours, Paris et sa vie de dingues, les faux amis, les horaires drastiques du quotidien.

- Cinq jours merveilleux qui m’ont bien rebootée, conclut Laure ; je me suis remise en phase avec moi-même.

Pour un peu j’en applaudirai ; Mais je me penche vers Sophie pour lui glisser à  l’oreille :

- En Sologne tu te promenais avec des tenues aussi ravageuses ? Les cerfs, les sangliers, les poissons, les solognots ont du être aux anges !

- Oh non, répond-elle en aparté comme si je lui demandais l’heure, je ne portais pas autant de vêtements.

Puis plus fort, en s’adressant à toute la table, elle ajoute :

- On a eu des après midis magnifiques.  Il faut voir comme cette région change de couleurs au cours d’une même journée.

 

Et nous voilà à vanter les charmes de la Sologne sujet qui bien sûr flatte l’orgueil de notre hôtesse qui est née sur place, dans le château de famille, une nuit d’orage où le médecin est arrivé trop tard pour accoucher sa mère et où les pompiers étaient trop occupées à droite, à gauche pour aller s’embourber dans les chemins de terre menant au château qui sont de vrais bourbiers dès qu’il pleut. Je le sais puisque j’y ai planté la R25 du père de Laure à deux reprises et le même week-end ce qui m’a obligé à porter ma belle jusqu’au perron puisqu’il était évidement impossible qu’elle pose ses fragiles petits petons dans cette bouse infâme. Ce qui nous a valu deux belles crises de rires. J’avais bien cru, ce week-end là que Laure était enfin à moi ; c’était la pentecôte, il y a deux ans. Ses parents recevaient des cousins, nous étions une bonne vingtaine mais Laure ne semblait pas s’entendre avec ce côté de sa famille. Nous étions arrivés à nous isoler quelques fois et elle me savait gré de la distraire d’un sombre séjour qu’elle n’avait pu éviter. Mais impossible de l’attirer dans ma chambre, le soir, à l’heure du crime ! Enfin, passons !

 

Au fil du repas Laure se détend et retrouve ses sourires et sa joie de vivre. Quand je le peux, je lui lance de chauds regards qui la rassurent ce qui ne m’empêche nullement de faire du pied à ma jolie voisine de gauche et d’approcher à la moindre occasion ma main de ses rondeurs ensorcelantes. Elle en rit à gorge déployée, nullement offusquée ni gênée. J’arrive à me retrouver seul à la cuisine, avec elle, Sophie donc ; un coup d’œil dans le couloir pour assurer nos arrières, je l’agrippe par les épaules, la colle dos au mur, l’embrasse à pleine bouche pour me délivrer de toute la fureur emmagasinée dans mes cinq sens depuis le début de la soirée, et même avant. Mes deux mains retroussent sa jupe sur son nombril, Sophie ne proteste pas, et participe même à mon baiser sans défendre son intimité. Un divin petit ventre ombré de blond apparaît en pleine lumière, si délicat, si raffiné, si fragile que je retombe désarticulé, décharné devant cet exquis trésor que je n’ose pas toucher. Libérée, Sophie se réajuste et se dégage en disant :

- C’est malin !

Comme elle passe devant moi pour rejoindre ses casseroles je lui caresse les fesses :

- Chut, s’écrie-t-elle en riant et en faisant un bond de côté, chasse gardée !

J’attrape le plat suivant et je dis d’une voix calme :

- Un jour, Sophie, il faudra que tu m’expliques à quoi rime tout ça !

- Quoi donc !

- Ces soirées, ces tenues que tu portes uniquement ici, cette provocation permanente, ces fesses à l’air libre, ce n’est pas la première fois, je le sais. C’est pour Laure ces cadeaux ? Tu es son esclave ou quoi ?

- Tu m’ennuies, Charles, tu poses trop de questions à la fois. Tu es jaloux parce que tu aimes Laure.

- Parce que j’ai de quoi être jaloux de toi, Sophie ?

- Je n’ai pas dit çà ! … Laure est ma plus vieille amie, on se connaît depuis le jardin d’enfants et on ne s’est jamais quitté. Demande là en mariage, Laure n’attend que cela, tu verras bien si je suis jalouse. … Tu as de ces idées, toi ! Allons rejoindre les autres

 

Arrive donc le dessert et son inévitable compagnon de route. C’est Thomas qui se charge d’ouvrir la première bouteille et qui a vraisemblablement l’honneur d’annoncer l’heureux bénéficiaire du toast :

- Chers amis, commence-t-il sur un ton pompeux que je ne lui connais pas ce qui me laisse à penser que je me serais trompé sur les vraies intentions du jour, j’ai l’honneur et la joie, le bonheur même de vous faire part qu’Anne et moi avons enfin (quand je dis enfin c’est pour faire plaisir à nos parents respectifs qui nous réclament et même exigent des situations claires) qu’Anne et moi disais-je, allons nous marier cette année, dans son joli Vexin, le premier week-end se septembre, … je n’ai pas fini, veuillez attendre pour manifestez votre enthousiasme ou votre désapprobation, cérémonie à laquelle vous ne serez pas conviés non, mais vous recevrez un ordre de mission vous intimant sans possibilité de discuter et aucune alternative, d’être sur les lieux à la date susdite !

Un vrombissant tonnerre d’applaudissements couvre ce joli discours bien tourné. Laure se précipite sur Anne :

- Je suis contente pour toi, s’écrie-t-elle, oh oui, très contente !

Et on la sent sincère mais …

 

Elle tombe dans les bras l’une de l’autre comme un vieux couple qui se retrouve par hasard sur le quai d’une gare, et Laure l’embrasse sur les lèvres, ce qui déclenche un nouveau tonnerre de bravos. Ce baiser éclatant (souvenirs souvenirs ?) a délesté Anne de ses derniers émois, légèrement glacée qu’elle était par cette annonce solennelle, ce qui fait que tout le monde à droit de goûter à ses lèvres, moi y compris, qui passe en dernier pour m’attarder dessus. Ce n’est certes pas la première fois, Anne est une vieille habituée des dîners de Laure, elle y venait avant moi, c’est l’une des plus anciennes avec Sophie.

A bien y réfléchir, mais est-ce bien le moment, c’est-elle laissée emporter par l’ambiance de l’instant pour se porter aux lèvres des joyeux convives ou était-ce pour se rincer la bouche du baiser de Laure.

A méditer.

 

Anne est une jeune femme sans histoire, qui ne fait pas de bruit, toujours élégante, polie, svelte, maquillée de peu, qui promène un regard silencieux mais curieux sur les gens qui l’entourent. Elle a l’âge de Laure à deux ou trois mois près, après une licence de lettres, elle est entrée au Trésor Public et travaille à Bercy, pas très loin du Ministre. Il nous est arrivé quelques fois de nous retrouver dans le même lit, à la suite de soirée bien arrosée, mais jamais ici. Deux ou trois fois chez Sophie et aussi chez Bruno du temps ou j’habitais chez lui. Mais il n’y a jamais rien eu de sérieux entre nous, juste une bonne relation de camarades qui se comprenaient et se satisfaisaient de peu. D’ailleurs elle s’est vite plu chez Bruno, goûtant l’ambiance bohême et inconsciente des joyeux fêtards qui zonaient dans ce grand appartement et je n’en ai pas gardé longtemps l’exclusivité. Puis elle a rencontré Thomas il y a trois ans et depuis elle s’est rangée des sommiers. En revanche, je n’ai jamais rien entendu dire qu’il y ait pu exister quelque chose entre elle et Laure. Les femmes sont généralement discrètes sur tout ce qui touche au féminin absolu et elles en interdisent l’accès aux hommes. Lesquels, il faut bien l’avouer, pour la plupart, s’en moquent royalement.

 

Après ses effusions piquantes nous reprenons nos places pour manger notre part de dessert tandis que Thomas remplit nos verres de champagne. Après un bon quart d’heure à mitrailler de questions les futurs mariés, Sophie se lève à son tour pour s’emparer d’une autre bouteille et s’apprête elle aussi à nous annoncer une bonne nouvelle. Debout, elle s’est décalée vers moi, ce qui fait que j’ai ses fesses au ras des mains. C’est très tentant, mais je pense à la bouteille, à qui je ne voudrais pas qu’il arrive malheur.

- Deuxième toast de la soirée, s’écrie Sophie avec force délirante et qui concerne aussi un mariage. Mais là, il s’agit d’un mariage qui n’aura pas lieu ! Celui de Laure et Jean-Bernard ! Notre amie et hôtesse généreuse a décidé de faire bon cœur contre mauvaise fortune et d’arroser que dis-je, de noyer, ses fiançailles rompues.

Tout le monde bat des mains et Laure radieuse se lève à son tour pour remercier de la tête mais sans ouvrir la bouche.

Charles, mon ami, c’est à ton tour, me dis-je en me jetant à l’eau sans ma bouée de secours.

Je me dresse devant mon assiette tout en laissant ma main s’égarer sur le corps de ma compagne que du regard je force à se rasseoir. Le silence se fait immédiatement alors que je n’ai esquissé aucun geste pour le réclamer :

- J’ai juste, chers amis, quelques précisions à rajouter à ce que vient de dire notre délicieuse Sophie. Une erreur à rectifier, une légère erreur qui a tout de même son importance, surtout pour moi. Ce n’est pas le futur mariage de Jean-Bernard et de Laure qui a été annulé ces jours-ci ; c’est juste celui de Jean-Bernard. Celui de Laure tient toujours, si bien sûr elle n’y voit pas d’inconvénient. C’est le futur mari qui change, et j’ai l’immense honneur d’être celui-ci !

Cinq secondes de silence glacial avant que Sophie ne lance la valse des applaudissements. En face de moi, Laure a pali, elle me regarde étrangement comme si je venais de la tuer. Anne assise à côté d’elle la secoue vivement :

- Ouah Laure ! Toi aussi ! Félicitations !

- Ne fais pas cette tête là, s’écrie Sophie qui ne manque pas toujours d’esprit sous des apparences d’adolescente mal dégrossie, on dirait que tu viens de perdre en bourse !

 

Laure se ranime, ses joues reprennent de la couleur, son regard s’allume et son tendre sourire illumine le monde y compris la face cachée de la lune :

- Vrai, Charlot ? … Tu veux m’épouser ?

- Puisque la voie est libre, dis-je avec fatalité.

Sophie vient s’asseoir sur mes genoux et se pend à mon cou pour m’embrasser à pleine bouche comme tout à l’heure dans la cuisine sauf que maintenant c’est moi l’agressé. Dans le mouvement sa jupe bien trop courte pour des manifestations de ce genre s’entortille sur sa taille et révèle ce qu’elle était sensée cacher jusque là. Le spectacle n’échappe pas à Géraldine qui sourit, indulgent. Un bon point pour elle. Je soulève Sophie pour la redéposer sur sa chaise en déclarant sur un ton très mondain :

- Permettez très chère que j’embrasse d’abord ma fiancée !

 

Je fais le tour de la table à pas lents, un tantinet cérémonieux, comme si j’allais déposer une gerbe au monument aux morts et m’approche de Laure qui s’est levée lentement, comme à regret pour m’accueillir. Je vais pour la prendre dans mes bras mais elle a un mouvement de recul comique qui déclenche l’hilarité générale. Je m’exclame en riant moi aussi, mais jaune :

- Allons bon, déjà une revendication ? … Une rébellion ?

- Mon cher dit-elle de cette voix pointue qu’elle emploie avec les commerçants quand elle découvre une erreur après avoir recompté sa monnaie, procédons par ordre. Avant de demander une jeune fille en mariage, mariage que d’ailleurs j’apprends en même temps que nos amis, il faudrait informer la dite jeune fille que vous l’aimez !

- Pardon ma Mie, mais autour de cette table, à part vous, nul ne semble l’ignorer !

- J’en suis ravie pour eux, mais j’aimerais que comme moi ils aient le plaisir d’entendre une jolie déclaration, avec un rien de romantisme et un minimum de sentiments.

Je réplique du tac au tac avec un soupçon d’énervement :

- Une déclaration en quinze exemplaires, avec tampon officiel de la Préfecture et du Ministère ? … qu’à cela ne tienne !

 

D’un brusque double mouvement des pieds j’envois valser mes chaussures et grimpe sur la table en passant par la chaise de Laure au milieu des hourras et des bravos de la foule en délire. Je jette un œil à la ronde pour obtenir le silence et commence mon discours qui fera date dans les chaumières du seizième :

- Français et Françaises, Parisiens et paris-chiennes (ce lapsus volontaire passe inaperçu ? Tant mieux parce qu’il n’est pas particulièrement heureux et encore moins de circonstance) Moi, Charles, … Charles 51, comme le Pastis, cinquante et unième du nom, illustre descendant de Vercingétorix déclare devant témoins et devant le monde entier en ce jour du mercredi 27 avril 1988 que j’aime plus que moi et plus que tout Laure de Clouay ici présente, et ce depuis des jours, des semaines, des mois et des années et que je ne m’offusque en rien qu’elle ait jusqu’ici feint de l’ignorer à la condition, immédiatement applicable, qu’elle vienne m’embrasser sur le champ et sur cette table !

 

Au pied du mur, Laure n’a d’autre solution que de s’exécuter, pousser en cela par les autres qui l’aident à monter sur la table. Elle est pieds nus, de ravissants petits pieds sur cette belle nappe blanche, elle se déplace avec précautions pour éviter tous pas malheureux, en me jetant de fréquents coups d’oeils dont le charme est amplifié par ce sourire de satisfaction qui chante sur cette bouche qui s’avance vers moi et uniquement pour moi. Pris par l’étrangeté du spectacle, l’avenue Kléber n’étant pas un des quartiers de Paris où l’on se promène souvent sur les tables des salles à manger, je recule doucement pour augmenter mon plaisir et la joie de voir Laure répondre agréablement à ce petit jeu.

Elle est enfin dans mes bras, elle se colle contre moi avec un abandon qui manque de nous faire vaciller, nous nous arrachons mutuellement nos lèvres comme pris par un furieux désir de se fondre l’un dans l’autre. L’endroit, la position, les huit paires d’yeux qui nous fixent nous rappellent que ce n’est pas le moment idéal. Je le regrette, sachant que Laure a des abandons qui ne durent jamais.

Quand elle me laisse enfin respirer, je lui demande au creux de l’oreille :

- Satisfaite ?

- Oui mon amour, répond-elle en noyant son regard dans le mien et avant de se ressaisir de mes lèvres comme un enfant de sa sucette avec l’espoir qu’elle n’ait jamais de fin.

Je l’ai déjà vu faire un geste équivalent avec Jean-Bernard, mais y a-t-il cinquante manières de s’embrasser ?

 

Nous rejoignons la terre ferme en nous tenant par la main. Je descends le premier et la porte ensuite sur le sol en la faisant tournoyer pour tenter de faire voler sa robe. Peine perdue elle la tient serrer, coller sur elle.

On a droit aux mêmes félicitations qu’Anne et Thomas tout à l’heure. Chaque fille vient m’embrasser sur les lèvres et la petite main de Laure accrochée à la mienne en rentrant ses ongles dans ma paume, m’empêche de serrer ces beautés contre moi dans un geste qui je le sens me sera bientôt interdit par ma fiancée.

Le champagne coule à flots et nous sommes tous un peu pompettes, l’ambiance qui jusqu’à maintenant était plutôt bourgeoise bon teint, risque de se dégrader. Lumières tamisées et musiques langoureuses rassemblent les corps qui cherchent des caresses. Il est bientôt minuit, ceux qui travaillent demain commencent à surveiller leurs montres mais ne veulent pas manquer la dernière danse. La table autour de laquelle nous avons dîné a été comme d’habitude poussée le long du mur sous les tableaux des ancêtres de Laure, paternels et maternels, les pauvres qui, si on leur donnait la parole, ne manqueraient pas de s’étonner du recul de la bienséance et du reste jusque dans les familles les plus classiques qu’on aurait pu croire apte à se préserver et à se prémunir contre ce fléau.

Déclaration d’amour oblige, j’ai pris ma fiancée dans mes bras et l’agite doucement au rythme lent et calme de la musique pendant que mes mains lissent son dos, depuis ses cheveux jusqu’au ras des fesses. C’est encore un peu tôt pour s’aventurer plus bas. Je l’écrase contre moi, ce n’est pas parce que l’émotion m’envahit mais c’est pour sentir la pression de ses seins sur ma poitrine. Dans l’oreille, je lui glisse les banalités d’usage qui lui font battre les paupières de bonheur. Laure dans mes bras, apparemment vaincue et soumise, comme la veuve du chef guerrier qu’on vient de tuer à la bataille et qui n’a rien qu’elle-même pour offrir à son gagnant et ainsi sauver sa peau, moi qui n’ai fait que rêver d’un instant comme celui-ci sans jamais l’atteindre voilà que dansent devant mes yeux les bouclettes blondes de Cécile.

Pourquoi quand je suis avec Cécile je pense à Laure et quand je suis avec Laure je pense à Cécile ? Parce que ni l’une ni l’autre ne vous sont destinées, tel m’a répondu Dora qui a réponse à tout un samedi soir quand je lui posai cette question. Il se peut qu’elle ait raison.

 

Laure détourne son oreille de ma bouche pour y coller se lèvres et nous voilà partis pour un long baiser de cinéma. Ma fiancée est toute friandise, ses lèvres roses comme des framboises, ses cheveux à la vanille, ses joues de fraises, ses seins ronds et appétissants comme des melons à la bonne saison, ses yeux bleus comme le curaçao, ses fesses et le reste comme les fruits défendus des vergers du paradis.

Mais je suis un homme moi, faible et sans défense devant ces beautés qui nous empoisonnent par leur innocence, qui distillent un souffre inodore qui nous entraînent sans le savoir dans un puits de perdition dont on n’atteint jamais le fond tant on prend plaisir à se laisser glisser dedans. Et puis un jour on se réveille, trop tard ou alors un sursaut nous relance dans le puits voisin.

Mes mains deviennent plus précises au fur et à mesure que son corps s’amollit sous mes tendres caresses et vient épouser le mien. Le premier bouton de sa robe vient de sauter comme par magie, sa poitrine met enfin le nez à la fenêtre. J’ai toujours pensé qu’il n’y avait rien de mieux que l’air libre pour que les fruits s’épanouissent. Ce n’est pas une vie d’être enfermé quand on est beau. C’est ce que je susurre à ma fiancée qui approuve d’un battement cils accentué d’un sourire qui transformeraient à eux deux le Groenland en désert s’il était là pour les voir.

 

Cette fois Laure plane complètement, elle ne touche plus le sol, elle a atteint une sorte d’extase comme la sainte devant le Saint Sacrement ; mais je ne suis pas le Saint Sacrement et Laure n’a rien d’une sainte. Alors ? … Théâtre ? … Léger dérapage non contrôlé. Poussons nos investigations !

Le deuxième bouton se rend à son tour sans que sa propriétaire ne le réprimande, on la dirait même soulagée de ne pas avoir à le faire elle-même. Cette fois sa poitrine pointe plus que son nez, elle lance  un joyeux bonjour à qui se présente.

Mais la musique qui s’arrête comme toujours au plus mauvais moment sépare nos deux corps qui reprennent une vie chacun de leur côté. Laure et je lui en sais gré n’a pas un geste pour remettre en place les fruits qui dépassent de leur corbeille et je vois la petite lueur perverse qui s’allume dans ses yeux à l’idée des regards qui vont se poser dessus et qui ne manquent pas d’arriver ponctués par des sourcils étonnés.

Quelqu’un remet la pleine lumière, les premiers départs se mettent en mouvement. Armand et Céline toujours discrets à se demander s’ils ne sont pas là uniquement pour faire tapisserie. Céline dont je ne critique en rien sa beauté réelle et le genre de fille que je prendrais plaisir à étrangler plutôt que de rester cinq minutes avec elle. Peu de femmes me font cet effet mais elle si, et je ne saurai expliquer pourquoi, nous ne nous sommes rarement parlé et encore moins disputé. Patricia les suit, elle baillait depuis le début du repas. Anne et Thomas viennent à leur tour me saluer. Anne m’attire dans un coin tranquille où on peut parler sans être entendu :

- Tu n’as pas eu l’impression de faire une connerie ce soir ? Laure n’est pas une femme pour toi. C’est d’ailleurs une femme pour personne !

- J’ai plutôt l’impression que c’est Laure qui fait la connerie, s’explique Thomas. Tout le monde sait que Charles n’est pas un modèle de fidélité.

- Oh ça, ça vient avec l’âge, réplique sa future.

J’interviens :

- Tu parles par expérience personnelle ?

- Ca suffit ! rugit-elle. … Je t’aurai prévenu. …Après tout, tu n’as pas encore signé.

- Non, et si ça se fait, ça ne restera qu’une signature.

- Réfléchis bien quand même avant, parce que c’est une maligne, elle te possèdera et tu n’y verras que du feu.

- Ecoute, ma chère Anne, je te remercie de ta sollicitude. Tu me laisseras ton adresse, comme ça, si je suis malheureux avec Laure, je saurai où aller pour me faire consoler.

- Pauvre andouille ! lance-t-elle avant de clore le débat.

- Ne t’inquiète pas pour Anne, me rassure Thomas, elle n’a jamais beaucoup apprécié Laure.

- Je sais, ça se voit. Pourtant elles se connaissent depuis longtemps.

- Depuis le lycée, je crois. Elles s’entendent sur pas mal de choses mais pas sur tout. Leur relation a toujours connu des hauts et des bas.

Laure justement nous rejoint, sourires et poitrines en devanture :

- Alors, on complote ?

On reste muet ce qui est déjà une réponse :

- Je suppose, reprend-t-elle que cette chère Anne m’a démontée alors que Thomas me défendait et que Charles comptait les points.

- C’est tout à fait cela, mon amour, dis-je en l’attirant contre moi et en l’embrassant sur les lèvres pour lui éviter d’en rajouter.

 

Elle voit les yeux de Thomas sur sa poitrine, se dégage de moi et entreprend de refermer un bouton en déclarant d’une voix douce dans la quelle elle glisse des traits de méchanceté :

- Cachons ces trésors, dit-elle en fixant Thomas, je ne repasse jamais les plats.

Et l’autre rougit d’un coup, son visage, son cou s’empourprent comme s’il allait nous faire une apoplexie. Foudroyé par la réplique pourtant calme de Laure, il disparaît sans demander son reste.

- Hé bien, dis-je admiratif, tu sais être expéditive ! … C’est quoi cette histoire de plats ?

- Oh, Thomas est moi c’est de la vieille histoire et peu intéressante.

- Si elle t’a concerné un jour ou l’autre de ton existence, elle m’intéresse forcément puisque désormais ta vie m’appartient. Et pas seulement à partir d’aujourd’hui mais de tout temps, de ta conception voire même de celle de tes ancêtres bouffis qui nous surveillent suspendus dans leur cadre comme les vautours sur les fils du télégraphe dans Lucky Luke.

- C’est fini ce délire, oui ? … En tout cas c’est joli ce que tu dis, merci !

- Mais moi je voudrais t’entendre me parler de Thomas.

- Oh Thomas n’a rien à voir là-dedans. Quand je l’ai vu un soir débarqué ici au bras d’Anne, j’ai tout de suite été jalouse.

- Donc il t’a plu d’emblée !

- Mais non, j’étais jalouse d’Anne. Ca me faisait mal de voir sa tronche enfarinée de bonheur avec ce grand crétin accroché à ses basques comme un gamin à sa bouée.

- Si je comprends bien, c’est la jalousie qui t’anime ?

- Disons que c’est un de mes moteurs, dit-elle avec une simplicité désarmante, mais ce n’est pas le seul.

- Et de moi tu as déjà été jalouse ?

- De toi non ! rit-elle. Dès que tu m’as vu tu n’as vécu que pour moi. Tu es tombée sous mon charme dès le premier regard.

- Tombé est le mot juste.

- De toutes les belles filles que je t’ai présentées chez moi aucune n’a eu l’air de t’intéresser ! Oh certes, tu as réussi à en glisser quelques unes dans ton lit mais sans rien de sérieux entre vous. C’est moi que tu veux et pas une autre.

- Cela flatte ton ego.

- Exact. J’ai besoin de sentir sur moi les yeux d’un homme qui me désire.

- Moi ou un autre.

- J’avoue avoir une préférence pour toi.

- Ca ne m’avait pas frappé jusqu’à présent !

- Parce que tu es aveugle, Charles. Tu vis dans ta tête, tu n’es guère attentif aux autres malgré une gentillesse à toute épreuve mais qui reste une gentillesse défensive.

- Gentillesse défensive !

- Oui, on dit Charles est un garçon gentil, il est là quand on a besoin de lui, mais ça ne va plus loin. Il disparaît plusieurs semaines et revient comme s’il était parti une heure plus tôt, il affiche une politesse de circonstance tellement tendre qu’elle dispense de toute question et de toute explication que de toute manière il ne donnera pas. … Tu protèges ta vie privée, ta vie tout court, tu nous montres que ce que tu veux bien montrer, tu enfouis tes sentiments parce qu’ils te font peur, tu refuses de t’engager car tu n’appartiens pas au même monde que nous, tu erres dans la vie comme le voyageur qui, sur le quai d’une gare, regarde les trains sans jamais monter dedans. Et moi j’ai de la chance, je suis la locomotive près de laquelle tu reviens le plus souvent.

- Locomotive qui ne m’a jamais emmené nulle part.

- Certes, mais j’ai tellement peur que tu ne sautes en route.

- Comme Jean-Bernard.

- Je t’en prie, oublie moi ce grand crétin.

- Ta locomotive n’est guère du genre aventureux, elle n’a jamais voulu faire escale chez moi malgré de nombreuses demandes réitérées.

- C’était un autre temps, aujourd’hui et grâce à toi, tout change. … Amuse-toi mon chéri, regarde donc cette pauvre Sophie à qui tu plais et qui se désespère de n’avoir jamais reçu la moindre attention, la moindre caresse, le moindre regard. Pourtant elle est belle, habillée de trois fois rien. Va la retrouver s’il te plait, je n’aime pas la voir triste.

- Pour qu’on la remarque, il faudrait qu’elle sorte de ton ombre.

- Et bien dis lui ! … Toi, elle t’écoutera peut-être.

Sophie à demi couchée dans un fauteuil semble cuver les alcools sur lesquels elle a eu ce soir, comme souvent, la main lourde. Sa jupe courte est une fois encore remontée sur ses hanches si bien que dans la position où elle se trouve nul ne peut ignorer ses trésors charmants prenants le frais.

- C’est un appel au viol, dis-je à Laure en la désignant du menton.

- Le risque est faible, il n’y a plus que toi pour la violer et tu ne le feras pas.

- Tu as de ses assurances !

 

Elle m’éclate de rire au nez en guise de réponse. La sonnerie du téléphone retentit dans l’entrée et je vois Laure se détendre comme si elle attendait ce coup de fil au-delà de minuit. C’est sans doute pour cela qu’elle lançait de fréquents coups d’œil à sa montre depuis un moment.

Barbara et Géraldine dansent entre elles en choisissant au fur et à mesure leurs musiques. Elles s’amusent comme des folles en toute honnêteté, je dois dire.

- Alors, le fiancé, s’écrie Géraldine en me voyant seul, on vient danser ?

- Non, j’ai une petite chatte à consoler.

Et je m’avance vers Sophie qu’on pourrait croire endormie mais sa tête se balance légèrement au rythme de la musique. Derrière, les deux autres sont explosées de rire. D’autorité, je ferme les genoux de Sophie en déclarant doucement :

- Vous êtes indécente, très chère ! De plus, peine perdue, je n’ai vu que des mouches tourner autour de ta fleur.

- Méchant ! … Tu as la mémoire courte. Tu oublies la cuisine, tout à l’heure. Attends que je le dise à ta future femme.

- Pourquoi, ce n’est pas déjà fait ?

- Mais pour qui tu me prends ?

- Pour sa maîtresse ... ou son amante ; je ne sais pas comment on dit dans ce sens !

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Toi et Laure, tout le monde en parle depuis longtemps.

Elle ne réagit pas, se contentant d’un geste de dépit :

- Laisse dire les jaloux.

- Les jalouses, plutôt !

- Mais non ! … je le sais ce qu’on raconte, ce sont des conneries. Et tu le sais bien toi, puisque tu viens de demander Laure en mariage. Je connais Laure depuis la maternelle, une vraie amitié est née entre nous alors que nous avions cinq ans, une amitié que rien ni personne n’a pu prendre en défaut. Laure, ce n’est pas mon amie, c’est ma sœur ! Mieux que ma sœur, c’est une autre moi ! … C’est inexplicable, incompréhensible mais c’est la vérité. … Tu devras t’en contenter.

- Je m’en contente, mais ça ne m’explique pas pour moi tu te promènes à moitié nue quand tu es avec elle.

- Pas quand je suis avec elle ! Ce soir oui, d’autres soirs, oui, et uniquement chez elle et chez personne d’autres. Sauf chez moi, bien sûr quand je suis seule et là, c’est complètement nue que je suis, uniquement pour mon plaisir et non pas celui de Laure. … Ce soir, je savais qu’elle attendait un geste de toi, un geste fort et ma tenue n’avait d’autre but que de te freiner dans ta demande. J’ai cru y être arrivée dans la cuisine mais dès que Laure a reparu dans ton regard j’ai de nouveau cessé d’exister.

- C’est la peur de perdre Laure qui t’a dicté ce comportement ?

- Non, idiot ! Laure je ne la perdrai jamais, pas plus avec toi qu’avec Jean-Bernard ou qu’un autre sombre idiot. C’est toi que je ne veux pas perdre.

- Si Laure est ton amie, ta sœur, vous partagez tout.

Elle sourit avec un regard empli de tristesse :

- Tout, sauf nos amants ! Il y a une limite quand même !

Je la tire par le bras et déclare :

- Viens donc danser, ça te réveillera et t’évitera de dire des âneries.

 

On rejoint Barbara et Géraldine qui nous accueillent avec plaisir. On danse un moment tous les quatre en riant beaucoup mais Sophie ne parvient guère à se dérider et même à rester debout. Barbara agacée l’emmène dans la salle de bains. Laure est toujours au téléphone, plantée dans l’entrée, une conversation des plus sérieuses, semble-t-il. Je me retrouve donc seul avec Géraldine qui a mis un slow sur la platine. Et nous voilà, soudés l’un à l’autre, Géraldine jouant à me séduire en se collant avec excès et cherchant mes lèvres que je ne peux lui refuser. Elle dirige notre couple de manière à ce que Laure nous aperçoive depuis l’entrée. Qu’a-t-elle donc dans la tête celle-ci aussi :

- A quoi joues-tu ?

- C’est à toi qu’il faut poser la question. Qu’est-ce que tu fais au milieu de ces folles ? Tu me parais être le seul normal de cette soirée. Quelle idée t’a pris de vouloir épouser cette perverse de Laure ?

- T’as mieux à me proposer ?

- Je me donnerais bien à toi si j’étais sur que ça serve à quelque chose ! Mais tu m’as l’air complètement dépendant de cette araignée.

- De cette araignée ? Laure ?

- Oui. Tu n’as pas vu cette façon qu’elle a d’agripper tous ceux qui passent à sa portée avec ses tentacules, ses longues pattes velues qu’elle enroule autour de ses victimes avant de les étouffer et de boire leur sang. Et toi tu tombes droit dans son piège, franchement, je te croyais plus malin.

- Merci !

- Oh, je t’en prie, cesse de prendre cet air niais ! … Crois-moi, c’est la première et la dernière fois que je viens chez elle. C’est Barbara qui m’a entraînée et je regrette de l’avoir suivie.

- Ca nous a permis de nous rencontrer.

- Pour ce que ça sert ! s’écrie-t-elle énervée. … Enfin, tu ne m’as pas l’air complètement idiot, ne me dit pas que tu es amoureux fou de cette fille ! Tu la désires, c’est clair, et c’est même comme ça qu’elle te tient mais ne me dit pas que tu vas vraiment l’épouser.

- Rien n’est fait.

- Tu me rassures. C’est impossible de faire sa vie avec une femme comme elle.

- C’est vrai.

- Alors à quoi joues-tu ?

- Tu l’as dit, je la désire.

- Et pour arriver à tes fins, tu dois l’épouser ! … Ah, on peut dire qu’elle t’a bien embobiné.

- Le mariage n’a pas que cette finalité.

- Ne me dis pas que t’as l’intention de lui faire des gosses ?

- Non.

- Alors quoi ? s’impatiente-t-elle.

- Je pourrai la battre en toute liberté.

 

Elle reste statufiée par ma réflexion, puis éclate de rire :

- Ce jour là, s’écrie-t-elle toute en joie, appelle-moi, pour rien au monde je ne manquerai un tel spectacle. … Au fait, j’y songe, une fois marié, si tu cherches une maîtresse, fais moi signe !

- Ce n’est pas après le mariage qu’il m’en faudra une, c’est avant ! Après j’aurai ma femme …

- Ben voyons, tu ne veux pas commencer ce soir non plus ! Et ne me dis pas que tu vas attendre le jour légal pour passer à l’acte. Tu n’as pas la tête à cela et elle encore moins. Et puis …

- Et puis ?

- Il y a longtemps que tu connais Laure. Barbara ne veut pas croire qu’il n’y a jamais rien eu entre vous bien que Sophie assure le contraire.

- Va savoir !

 

Laure est toujours au téléphone dans une conversation qui semble s’envenimer alors que Barbara revient du fond de l’appartement, seule :

- J’ai fait couler un bain à Sophie, dit-elle, elle a besoin de dessaouler. Elle te réclame Charles, tu devrais aller la voir parce qu’elle n’est vraiment pas bien. Ton futur mariage lui reste en travers de la gorge.

- Et bien, comme ça on sera deux !

 

Et je laisse sur place les deux jolies plantes après cette réplique de théâtre, énigmatique à souhait, qui ne va pas manquer de soulever des interrogations et entraîner de long débat chez les deux amies.

Sophie est bien couchée dans la monstrueuse baignoire familiale toute carrelée d’un rose agressif, sous un nuage de mousse dont, seul, son visage émerge. Elle chantonne un tube vieux de trois quatre ans auquel je ne peux remettre un nom. Elle n’a pas l’air si mal en point que cela même si ses yeux semblent remuer dans le vide ce qui lui donne un regard sans aucune expression. Elle m’invite à la rejoindre d’un sourire tristounet comme un dimanche d’automne fouetté par la pluie. Je décline l’offre avec fermeté sans lui laisser le moindre espoir. Mais ce n’est qu’un jeu, je le devine assez vite. Je lui propose de l’attendre pour la raccompagner :

- Inutile, je dors ici ! Laure n’aime pas me savoir dehors passé minuit.

- Je serai avec toi.

- Raison de plus.

- Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne nuit.

- Tu ne restes pas ?

- Non, pourquoi ?

- Dame, des fiançailles, ça se fête !

- C’est ce qu’on vient de faire, si tu avais moins picolé tu t’en souviendrais.

- Je veux dire au lit ! Une fiancée, ça s’étrenne !

- Non, c’est la mariée qu’on étrenne, et après le mariage. Je vous croyais plus au fait des bonnes vieilles traditions dans le seizième.

- Je n’ai jamais habité cet arrondissement.

- Possible, mais tu en as l’esprit.

- Bouh Sophie, la méchante bourgeoise ! Anonne-t-elle pour se moquer.

- Méchante non, bourgeoise oui.

- Qu’est-ce qui s’est passé, Charles ? demande-t-elle retrouvant tout à coup tout son sérieux ?

- Quand ?

- Ce soir.

- Je ne comprends pas.

- Dans la cuisine, tu étais prêt à me sauter dessus et maintenant tu m’abandonnes comme un vieux bas filé.

- Tu n’as rien d’un vieux bas filé.

- Réponds à ma question, s’il te plait.

- Passe un soir chez moi, je te répondrai, ainsi tu pourras à ton tour répondre à mes questions.

- Des questions à propos de quoi ?

- A propose de la cuisine justement.

- J’ai du mal à te suivre, mon chéri. … Tu veux savoir pourquoi je me suis promené les fesses à l’air toute la soirée ? … Je te l’ai déjà dit tout à l’heure.

- Réponse insatisfaisante. Mais ce n’est pas cette question qui me turlupine. Mais je vais répondre à la tienne parce que je suis gentil. Entre la cuisine et maintenant je me suis fiancé ! Tu te rappelles ?

Elle me jette de la mousse à la figure en hurlant comme une possédée :

- Affreux, s’écrie-t-elle, c’est donc vrai. J’ai cru que c’était un cauchemar !

 

Laure arrive juste à cet instant, sourire aux lèvres :

- Hé bien, Charles, mon ami, dit-elle sur le ton de la maîtresse de maison qui vient de découvrir son mari couché avec la femme de chambre, que faites-vous dans cette salle de bains ? Vous ne vous êtes pas aperçu qu’il y avait quelqu’un dans la baignoire.

- J’ai entendu appeler au secours, j’ai accouru aussitôt !

- Oh ! … Dans ce cas vous avez bien fait. C’est notre petite Sophie qui ne va pas bien ?

- L’annonce de notre mariage semble l’avoir anéanti.

- C’est vrai qu’elle a toujours eu un faible pour vous. Mais enfin, elle doit se faire une raison, la vie avance, il faut bien en tenir compte.

- Exact. La vie et la nuit, et j’ai sommeil. Je vais devoir vous quitter.

- Déjà ?

 

Je ne réponds rien et quitte la salle de bains. Laure est agenouillée devant la baignoire et tient le visage de Sophie entre ses mains, en écartant doucement la mousse en soufflant dessus avec légèreté.

Je n’ai aucun doute, la scène est jouée pour moi et ces deux garces l’ont mise en place d’un seul regard muet. Laure me rattrape dans le couloir, elle n’apprécie pas ma fuite :

- Sois gentil, Charles, tu vois bien que Sophie va mal.

- Elle a trop bu ; de plus, elle a chopé un rhume des fesses ! … Il va falloir faire du tri dans vos relations, Mademoiselle de Clouay si vous tenez un jour à porter mon nom.

 - Sophie n’a que moi au monde, je ne peux l’abandonner. Il va falloir vous y faire mon ami si vous voulez me voir un jour dans votre lit.

 

Nous nous défions du regard debout à trois mètres l’un de l’autre dans ce vaste couloir. Laure n’a pas digéré ma pique, elle est blanche de colère, on dirait une statue qui défend l’accès de la salle de bains, comme si j’en voulais à Sophie. Ses admirables yeux verts lancent des éclairs apocalyptiques. J’avance d’un pas et arborant le plus beau sourire que je puisse trouver en cette heure tardive dans ma panoplie du jeune homme accompli je tends mes bras pour l’accueillir. Mais elle reste de glace, n’accomplissant aucun geste de détente.

- Viens m’aider à la coucher, commande-t-elle.

- Tout, mais pas ça.

- Reste, Charles, nous avons encore à discuter tous les deux.

- Mets Sophie au lit, je t’attends dans ta chambre.

- Tout mais pas ça.

- Un point partout, dis-je lassé.

Elle sourit et baisse sa garde :

- Nous sommes fatigués, reconnaît-elle, laisse moi me débrouiller de Sophie, j’ai l’habitude.

Rentre chez toi et appelle moi très vite qu’on se voit pour donner de bonnes bases à ce projet de mariage. Prévois un week-end pour aller en Sologne mes parents vont être très heureux. Ils t’estiment beaucoup.

- Entendu. Mais toi, n’oublie pas les miens, parce moi aussi j’ai des parents, comme toi !

- Mais je sais, dit-elle avant de fondre dans mes bras pour échanger un long baiser passionné.

 

 

De l’avenue Kléber à la rue de Siam, vingt minutes à pieds en passant par la place de Mexico. La soirée est humide, pesante, un vent agaçant qui m’attend à chaque carrefour pour me gifler au passage. Sans doute, un complice de Laure qui m’en veut d’aller rejoindre Cécile. Il est une heure du matin, les honnêtes gens sont toutes au lit, les rues de Paris appartiennent aux maraudeurs comme moi.

Du jour où j’ai rencontré Cécile, j’ai toujours eu à ma disposition un double de ses clefs qu’elle m’a confié en me promettant de venir la surprendre à toute heure de la nuit. Il y a sept nuits dans une semaine, elle a vite limité mes visites à une seule, celle du mercredi, option qui ne m’a jamais dérangé. Ce soir, après avoir passé la porte codée de l’immeuble sans encombre, je glisse la clef dans sa porte car je ne sais si comme elle l’a prétendu sur mon répondeur, elle m’attend vraiment.

Il est tard, je suis claqué, j’entre sans bruit, je vais à la salle de bains me passer un peu d’eau sur la figure et voilà Cécile sur le pas de la porte, une robe de chambre sur le dos, les cheveux ébouriffés.

Je me penche sur elle pour l'embrasser mais elle se recule :

- Bonsoir Charles, je t’attendais sans vraiment t’attendre ! … Tu empestes l’alcool et la cocotte, comme souvent. Je souhaiterais que tu me rendes ma clef et que tu t’en ailles tout de suite.

Je la regarde en écarquillant mes yeux fatigués. Elle ne plaisante pas, son air est dur, soin regard froid, ses traits figés.

- C’est ce vraiment que tu veux ?

- Oui !

Je lui tends ses clefs sans un mot, passe devant elle sans rien faire et vais vers la porte d’entrée.

Elle me suit de près comme pour me surveiller. Une voix d’homme l’appelle de la chambre, me confirmant ce que j’avais déjà deviné ; elle n’est pas seule.

 

Je sors dignement sans rien ajouter, sans la regarder et je l’entends refermer la porte doucement derrière moi.

C’est ce qu’on appelle fermer une histoire d’amour. Mais c’est son choix et je le respecte bien que sur le moment, je peine à accepter de me retrouver comme un con sur un paillasson à une heure du matin et assez loin du premier lit accueillant.

Je n’insiste pas, qu’on ne compte pas sur moi pour faire un esclandre au sujet d’une banale histoire d’alcôve refusée sur le palier d’un immeuble que je n’habite même pas.

Avec un peu de chance, je trouverai bien un taxi à la Muette sur les Maréchaux.

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